À la rencontre de Solâme : un voyage intime à travers la Vie et la Mort

Régulièrement, on me demande pourquoi j’ai souhaité créer Solâme. Qu’est-ce qui m’avait conduite à m’intéresser à la mort et à dédier mon temps à cela ? Je me suis installée devant mon ordinateur et j’ai pris le temps de me pencher sur mon histoire, sur mon vécu. C’est intime mais c’est mon histoire, et aussi l’histoire de Solâme.

Lien intime à la mort lors de mon adolescence

Je crois que petite et surtout adolescente, j’entretenais un lien étrange à la mort. J’en avais très peur. Je craignais que les membres de ma famille décèdent, j’avais peur de mourir moi-même. Peu avant le décès de ma grande tante, « Tante gâteau » que je considérais comme ma grand-mère et qui représente encore à ce jour, une des personnes les plus importantes de ma vie, je suis allée la voir en soins palliatifs. Elle était comme morte vivante. Elle ne bougeait plus, affaissée sur son corps, recroquevillée dans la douleur, dans la renonciation, ses doigts tricotant inlassablement. Elle ne répondait à personne.

Avant de la quitter, je me suis approchée d’elle. Je lui ai caressé la main, abîmée et portant les stigmates de toutes les voies veineuses qui y avait été posées. A ce moment-là, elle a soulevé difficilement la tête et elle a planté ses yeux dans les miens, profondément. J’ai pris un coup. Je lui ai dit que j’allais revenir la voir, et je suis partie. Elle me disait « au revoir ». Elle est décédée deux jours plus tard. Je ne l’ai pas revue. J’étais seule, personne pour nous accompagner. J’avais 17 ans.

Trois ans plus tard, Christel, une femme qui m’avait accueillie chez elle durant tous les étés de mon adolescence, à Belle-île en mer, pour profiter de ma passion et participer à un festival de chant lyrique et opéras est, elle aussi, décédée. Elle était allemande, n’avait pas eu d’enfant, et avec Alain, ils m’ont appris beaucoup de choses et m’ont permis de prendre mon indépendance. A son décès, je n’ai pas osé aller voir son corps. Je n’ai vu qu’un fragment, dans la porte entrebâillée du salon funéraire où elle reposait… Je m’en suis toujours voulu de ne pas être allée la voir, de ne pas lui avoir dit « au revoir ». Comme pour Tante gâteau.

Le troisième décès qui m’a chamboulée enfant, est celui de ma chienne adorée, Aïda. C’était un colley, d’une grande douceur, qui m’avait accompagnée pendant toute mon enfance. La dernière image que j’ai d’elle est Aïda me regardant dans le coffre de la voiture de Papa qui la conduisait chez le vétérinaire. Le lendemain, mon père, au téléphone, confirmait au vétérinaire qu’il pouvait l’euthanasier. Personne n’était avec elle. Et moi, je ne l’avais pas revue, je ne lui avais, à nouveau, pas dit « au revoir »…

Qu’est-ce qui n’allait pas dans tous ces décès ? Pourquoi était-ce si étrange ? Si irréel pour moi ?

Mes voyages en Afrique, première confrontation aux rites funéraires

A 20 ans, je suis partie pour la première fois en Afrique. Durant les 15 années qui ont suivi, je suis allée régulièrement, plusieurs fois par an, en Ouganda, pour suivre des chimpanzés sauvages et les étudier. C’est durant ces voyages que j’ai été confrontée pour la première fois aux corps des morts. J’ai vu des cérémonies et les gens veiller leurs morts. Ils ne craignaient pas d’honorer leurs êtres chers. Je me souviendrai particulièrement de cette femme, dont le corps avait été disposé dans une pièce au plein milieu du village, ouverte aux quatre coins du vent. Chacun vaquait à ses occupations, passait la voir, les enfants jouaient à côté d’elle. Ses proches, les membres de sa famille et amis ne craignaient pas de la laver, de la toucher, de l’embrasser, de lui parler… J’avais trouvé cela magnifique. Plein de sens, de respect pour cette femme que je ne connaissais pas moi-même.

Le métier de vétérinaire : une prise de conscience

Les années ont passé, en parallèle de mes activités de chercheuse sur les chimpanzés sauvages, je suis devenue vétérinaire en clinique canine. Ce métier, de passion, m’a plu d’emblée car il est ancré dans les relations Homme-Animal et j’adorais les liens que je tissais avec les familles. J’y ai vécu mes premières euthanasies de chiens et de chats. Certaines se sont bien passées. D’autres moins bien. D’autres me hantent encore. J’essayais de faire de mon mieux. D’user de toute la douceur et de toute l’empathie et bienveillance que je pouvais donner. Mais… il manquait quelque chose.

La mort n’est pas l’opposé de la vie, elle est le miroir de la naissance

En 2019, après la naissance de ma fille aînée, Louise, j’ai suivi une formation en accompagnement de la fin de vie des animaux domestiques. Cette formation était proposée par la clinique vétérinaire Anicoon Vétérinaires où je travaillais. Vincent Dattée, fondateur d’Anima Care, était la personne dispensant cette journée de formation. Vincent m’a permis de vivre une véritable révélation. Quoi ? Nous pouvons nous emparer de ces problématiques de la fin de vie des animaux et oser proposer des accompagnements dignes, respectueux des animaux, des familles et de nous-mêmes ? J’étais un peu sidérée. Tellement enthousiaste. Grâce à une équipe Anicoon Vétérinaires incroyable et un manager, Grégory Santaner, toujours prêt à tester de nouvelles possibilités, nous avons créé un groupe de travail pour réfléchir à nos valeurs et à comment nous souhaiterions accompagner les animaux à la fin de leurs vies. J’ai eu alors l’opportunité de créer un service d’accompagnement de la fin de vie des animaux domestiques chez Anicoon Vétérinaires. La reconnaissance que les familles m’ont rendue m’a poussée à continuer.

Début 2022, j’ai accouché de mon deuxième enfant, un petit garçon, Côme. Il est né de la plus belle des manières. Grâce à une sage-femme hors pair, et un partenaire toujours prêt à me suivre, j’ai pu expérimenter la puissance et la beauté d’un accouchement physiologique. J’ai alors compris en quoi une naissance relevait du « sacré ». Solenn, durant ma grossesse, m’avait accompagnée d’une manière très proche de celle que j’utilisais avec les familles lors des euthanasies de leurs animaux. Elle m’avait conduite à réfléchir sur mes valeurs, sur le sens de la vie et m’avait poussée à réaliser mes propres choix, conscients et éclairés. Son accompagnement est rentré en résonnance avec le mien. La naissance et la mort sont deux passages initiatiques de la vie. Sacrés. Nous n’avons pas le droit de ne pas respecter et honorer ces instants de la Vie. Avec un grand V.

Ma famille à la genèse de Solâme

Le dernier bouleversement de ma vie qui m’a conduit à créer Solâme est le décès de mon grand-père, 8 mois après. En août 2022. Mon grand-père est décédé chez lui, accompagné de ma mamie, de mon papa et de mon cousin Simon qui l’ont veillé et lui ont apporté des soins constants, d’une douceur infinie. Sa famille proche et moi-même sommes venus le voir dans ces dernières heures de vie et j’ai pu lui dire « au revoir ». Cela m’a tellement soulagée. C’est alors devenu une évidence pour moi. J’allais proposer des accompagnements humains, respectueux, honorant la vie et la mort, à domicile, pour les animaux et leurs familles.

J’ai décidé de créer Solâme et de servir cette cause. Il m’a fallu encore un an et demi pour me former, tout peaufiner et tout créer, mais le train était lancé !